Portraits,  Women in Paddock

Dominique Serra

UNE GAZELLE AU CARACTÈRE BIEN TREMPÉ !

Originaire de Nice, Dominique rêvait de ce rallye depuis toute petite. Ce rêve est devenu réalité, il y a 25 ans maintenant, et pas toujours facilement !
Elle se raconte à AutomoBelle !

Bonjour Dominique. Il y a longtemps que j’attendais cette rencontre car vous êtes à l’origine d’un rallye de renommée mondiale : “le rallye Aïcha des gazelles“, plus communément appelé : “le gazelle“ ! Comment vous en est venue l’idée ?

Bonjour AutomoBelle. Le point de départ, début 1990, était que la femme n’était pas représentée dans le monde de l’automobile, et que, si je devais mettre en place un challenge féminin, ce serait dans ce monde-là, parce qu’il y avait un vrai défi à relever !…

Vous étiez déjà dans le milieu de l’automobile ?

Non, pas du tout ! J’étais dans l’événementiel et les relations humaines, on m’avait demandé de trouver une idée pour valoriser les femmes dans l’entreprise, et je suis partie tout de suite sur ce concept là.

Tout de suite du 4X4 ?

Tout de suite du 4 X 4, tout de suite dans le désert et au Maroc. Ce n’était pas aussi affiné comme l’orientation peut l’être aujourd’hui, c’était plus de la
piste avec un road-book. On est venu à la navigation l’année suivante.

Et pourquoi vous avez justement choisi le 4 X 4 et non un routier ?

La Liberté ! Un 4 X 4 vous donne la liberté que les autres voitures ne vous donnent pas, surtout sur un routier ! Avec un 4 X 4, vous pouvez passer dans des endroits vierges, vous avez des sentiments de liberté, on peut faire des choses impossibles à faire avec une autre voiture !

Les filles ont répondu présentes immédiatement ?

Certaines filles, oui ! Mais c’était l’époque où internet n’existait pas, et monter un événement de ce type était vraiment quelque chose qui faisait se poser des questions aux gens. Pour beaucoup de personnes, ce n’était pas sérieux.

Le Paris-Dakar était déjà bien en place, cela vous a aidée ?

Non, pas du tout, parce que le concept du Gazelle est ; “pas de vitesse”, alors que le Dakar, c’est la vitesse, et ça fait partie de la Fédération … Moi, mon petit événement de femmes, c’était un concept que les rédacteurs ne comprenaient pas, (et ne comprennent toujours pas d’ailleurs) : la référence de l’automobile étant la vitesse, quelque chose qui était sans vitesse, ce
n’était pas du sport ! Donc, ça ne m’a pas servi du tout à part le fait que des journalistes, lorsque je préparais l’événement, me demandaient si j’étais lesbienne. Je leur répondais qu’il ne fallait pas être pédé pour faire le Dakar! Voilà ! …

La population vous a tout de suite bien accueillie ?

Oui, la population, mais aussi les autorités. Ils m’ont tous dit que c’était génial, et que les femmes étaient les bienvenues, c’était extraordinaire ! Et ça continue encore aujourd’hui.

Quel est donc le principe de ce rallye ?

Les concurrentes ont une carte et une boussole, point ! Une carte au 100.000ème, une boussole pour le hors piste. Pas de GPS, juste des coordonnées géographiques. Il faut rallier des points de contrôle de passage obligatoire en faisant le moins de kilomètres possible et sans demander l’assistance. C’est un véritable jeu de stratégie, de conduite précise et de navigation vraiment pointue : celles qui gagnent sont celles qui ont fait le moins de kilomètres et pas de pénalités d’assistance, bref, qui ont fait une conduite presque parfaite.

Je crois qu’il a une mission humanitaire en même temps ?

Oui, il y a un côté caritatif. On a monté une association, “Coeur de gazelles“, il y a 10 ans maintenant. Il y a une caravane médicale, et des médecins procurent des soins généralistes, mais aussi gynécologiques, pédiatriques et ophtalmologiques. On opère les cataractes, on construit des puits, on repeint des écoles, on a également une caravane environnementale, car on est le seul rallye répondant aux normes ISO 1401 : on apprend aux enfants dans les écoles, au niveau des déchets, pourquoi il ne faut pas se servir de sacs en plastique noir, par exemple. Il y a plein de sujets importants qui sont mis en place.

Chaque année, les parcours sont différents, c’est pour toucher des populations différentes, je suppose ?

Oui, le parcours est effectivement différent, et les populations sont aussi différentes. Mais il y a aussi des populations qui ont l’habitude de nous voir revenir. Des enfants, quand on leur demande leur âge, répondent qu’ils ont 4 ou 8 rallyes ! C’est amusant. On revoit des enfants, mais aussi des familles que l’on soigne. On a des carnets de santé qui nous ont été remis par le Ministère de la Santé marocain pour pouvoir suivre les patients

Viennent se rajouter des associations à but humanitaire ?

Oui, se sont des équipages qui décident de défendre une association, de la mettre en avant, et de parle d’elles grâce à l’événement.

Votre fille travaille avec vous je crois ?

Oui, Marina est la présidente de “Coeur de Gazelles”, et elle s’occupe aussi de toute la partie “équipage“ : les relations, la mise en place de tout ce qu’il faut à un équipage pour partir, etc. …

Quand je vous ai eue au téléphone, vous m’avez dit : “Je vous préviens, j’ai un sale caractère, on a dû vous le dire !“ Mais il faut avoir du caractère pour avoir fait ça, et réussi, il y a 25 ans !

Effectivement, ce n’est pas de la vantardise, mais c’est juste que j’en ai tellement bavé pendant 25 ans ! Ça commence à aller mieux, depuis 6 ou 7 ans, du point de vue de la notoriété, de la reconnaissance; il y a de
l’admiration. Je ne suis plus la fille un peu folle, gentille et sympathique, qui a une idée particulière mais son truc, on ne sait pas ce que c’est ! On n’a plus besoin d’avoir à démontrer tout le sérieux, le potentiel et la qualité de l’épreuve, et on a de plus en plus de femmes qui veulent y participer. Le marché féminin commence à éclater pour beaucoup de gens, surtout dans le domaine de l’automobile. Donc je pense que j’avais raison il y a 25 ans ! C’était peut-être trop tôt, mais j’ai eu raison. Je suis très contente d’être en
avance, et bien en avance ! Contente aussi que des gens veulent me copier sans y arriver, parce qu’ils ne comprennent même pas de quoi ça parle !
Je pense qu’il fallait effectivement de l’énergie, il fallait y croire, vraiment y croire ! J’ai tout abandonné pour cet événement, j’ai été à découvert pendant des années, j’ai vraiment “ramé“, j’ai failli être en faillite plusieurs reprises, j’ai vu le fond ! Mais croire en son idée, c’est très valorisant, surtout quand on arrive au bout ! Quand je regarde en arrière, je me dis que je n’aimerais pas revivre ce que j’ai vécu ! En revanche, je suis fière de l’avoir traversé !

Est-ce par rapport à ces difficultés que le rallye a changé de nom ?

Non, pas du tout, le rallye s‘appelait “le trophée Aïcha des Gazelles“. Quand on l’a ouvert à l’international, le mot “trophée” ne voulait plus rien dire. Je l’ai remplacé par “rallye“ pour faire savoir que c’était une épreuve automobile. Sans cela, je n’aurais pas eu la couverture médiatique.

Comment font les novices qui font ce rallye pour la première fois,
elles bénéficient d’une préparation ?

Oui, bien sûr ! Sur un ou deux week-ends, on leur apprend à naviguer, et d’elles mêmes, elles apprennent à conduire. Ces femmes n’ont absolument
pas l’habitude d’évoluer dans le monde du 4X4.

Vous avez créé un nouveau rallye : le “Cap Femina Aventure“ !

Oui, c’est à la demande de femmes qui avaient envie de vivre une aventure, sans avoir besoin de compétition aussi exigeante que les Gazelles. C’est un raid solidaire, avec carte, boussole et road-book sur piste. Et il y a une épreuve sportive. Mais on est beaucoup plus cool, et on va à la rencontre des populations, on retrouve les traditions marocaines, on essaie de comprendre comment ce pays et ces femmes vivent, pour nous européennes, et on a aussi une action caritative, puisque chaque année, on repeint une école.

Comment choisissez-vous cette école ?

C’est lors de nos reconnaissances. On se rapproche des associations locales, on pose des questions, on visite pour voir dans quel état est l’école, mais généralement il n’y a plus rien !

Un mauvais souvenir de ces 25 ans ?

Oui, en 2000, il y a eu pour la première fois un équipage qui a triché ! Ça, c’est un très mauvais souvenir, car ce n’est pas l’esprit des gazelles, et, pour moi, de la femme ! On ne vient pas là pour ça,surtout qu’il n’y a rien à gagner ! Il n’y a pas d’argent à la clé ! Il y en a sûrement eu d’autres, mais je les ai oubliés très vite, effacés par les bons !

Alors un bon, justement ?

Je pense que c’est, tous les ans, l’arrivée à Essaouira, avec la joie des participantes qui en ont tellement bavé et qui sont arrivées qui sont fières d’elles, ça se voit, ça explose ! Et ça, ça va rester l’aventure de leur vie !

Les filles qui font le rallye, on les appelle les “gazelles“, ça doit vous
faire plaisir ?

Oui, ça fait très plaisir ! Surtout qu’au départ, quand j’ai créé le rallye et que je disais que j’allais l’appeler comme ça, on me disait que cela ne faisait pas
sérieux, et ça faisait rigoler ! Alors que maintenant, quand on dit : “je suis une gazelle“, c’est une marque de fabrique, c’est comme une estampille, c’est un état d’esprit, c’est l’audace, la détermination apporte un projet jusqu’au bout, et elles se reconnaissent !

Dominique, si vous étiez une couleur ? Laquelle seriez-vous ?

Le bleu

Un pays ?

Le Maroc

Une musique?

Dirty dancing

Un plat ?

Une soupe de potiron

Une voiture ?

Une Porsche !

Une personnalité que vous admirez ?

Il n’y a pas une personne en particulier ! J’admire toutes les femmes qui ont un caractère exceptionnel !Je pense qu’il y a des centaines de femmes qui ont ou qui avaient un potentiel et font ou on fait des choses extraordinaires et que l’on ne peut qu’admirer !

By Laurence Mauléon Bernier

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